- NEW AGE
- NEW AGENEW AGE«L’homme réapprendra à penser / Grâce au verseau / Grâce au Verseau.» La comédie musicale Hair le proclamait déjà haut et fort, à la fin des années 1960: le monde va changer d’ère, connaître un nouvel âge, si l’on veut bien traduire littéralement l’anglais New Age. L’ancien âge, celui des Poissons (dans lequel nous vivons encore), a été marqué par d’incessants affrontements entre les hommes, par des luttes à la plume et au couteau entre doctrines politiques, philosophiques et religieuses. Il nous a aussi appris que les progrès technologiques ne sont pas forcément synonymes de progrès pour l’humain: que ce soit à travers les catastrophes écologiques ou bien les scandaleux déséquilibres sociaux à l’échelle tant nationale qu’internationale, le matérialisme laisse apparaître un bien sombre revers de médaille. L’ère du Verseau sera l’opposée de l’ère des Poissons: «... après un âge d’obscurité et de violence – les Poissons –, nous pénétrons dans un millenium d’amour et de lumière, l’ère du Verseau, le temps de la vraie libération de l’esprit», annonce Marilyn Ferguson, l’une des initiatrices du succès populaire du nouvel âge avec son best-seller paru en 1980, Les Enfants du Verseau . Cette journaliste américaine est devenue le porte-parole d’une nouvelle prise de conscience regroupant une nuée d’idées et de tendances intellectuelles qui se développèrent en marge de la culture dominante. Une galaxie qui s’intéresse à la véritable nature des choses et de la vie et revendique une appréhension plus spirituelle des phénomènes. Les enfants du Verseau se comptent comme «des centaines de milliers d’individus personnellement impliqués dans des expériences subjectives spontanées» qui leur ont fait découvrir d’incroyables capacités humaines. Une phrase d’Einstein, qui aurait déploré que l’on utilisât simplement un dixième de notre cerveau, sert de fanion à cette nouvelle croyance.Une nouvelle èreL’ère du Verseau durera environ deux mille cent ans et débutera lorsque le lever du soleil à l’équinoxe de printemps passera du signe zodiacal des Poissons à celui du Verseau. À la fin du XIXe siècle, les astrologues prédirent que ce changement adviendrait au milieu du XXe siècle, et Alice Bailey popularisa le terme New Age dans les milieux théosophiques du début de notre siècle. Reprenant toutes les traditions ésotériques (des platoniciens aux bouddhistes, des kabbalistes juifs aux soufis orientaux...), le nouvel âge prône la primauté de l’esprit sur la matière.Selon ses adeptes, en effet, la civilisation occidentale tend à ne prendre en compte que l’apparence des phénomènes et à tout étiqueter et quantifier avec un acharnement borné: tout devient propriété, de l’art jusqu’au moindre îlot, et même l’esprit se voit mesuré en termes de quotient intellectuel. Le nouvel âge s’insurge: c’est de l’esprit, affirme-t-il, que procèdent la matière et les phénomènes du monde qui nous entoure. Et l’esprit se tient à l’intérieur des êtres et des choses. Cet esprit (qui peut aussi se désigner comme conscience, énergie, énergie cosmique, etc.) est le siège de l’Être absolu (l’Essence créatrice de toute chose). La découverte de ce principe, en soi comme à l’intérieur de chaque chose et de chacun, est essentielle: «Quand la conscience devient consciente d’elle-même et qu’en prenant conscience d’elle-même elle se découvre extension de la Conscience cosmique [...], alors elle ne manquera pas de vivre un prodigieux élargissement d’elle-même», explique Carl-A. Keller, spécialiste de la science des religions, dans son New Age, entre nouveauté et redécouverte .De nouveaux syncrétismesIl convient, dès lors, de porter sur le monde un regard libéré de la perspective trop analytique du rationalisme. «Tout est dans Tout», l’expression a été répétée jusqu’au galvaudage: le principe holiste, une antienne essentielle au nouvel âge, unit ce qui est apparemment contradictoire. Il s’agit dès lors de découvrir la complémentarité dans l’unité. Une erreur grave consiste à séparer l’esprit de la matière. Au nom de ces principes, les tenants du nouvel âge réclament un changement de paradigme: selon eux, le modèle opératoire du matérialisme et du mécanisme et les représentations du monde qui en sont issues ont suffisamment fourvoyé les hommes.Le primat de l’esprit sur la matière étant posé a priori, les phénomènes ne seront plus ramenés à leurs apparentes causes matérielles. Les valeurs seront morales et spirituelles, l’esprit sera libéré et l’amour régira les rapports humains. Le nouvel âge étaie ses convictions sur les débats que traverse la science: dans la Californie des années 1960, les animateurs de la gnose de Princeton réclamaient eux aussi, haut et fort, un changement de paradigme scientifique. Les psychothérapeutes voisins de l’institut Esalen lançaient, quant à eux, la psychologie humaniste qui allait devenir la psychologie transpersonnelle, dont le champ de recherche s’étend jusqu’au parapsychologique et au spirituel.Dans cette optique, on comprend que le nouvel âge s’intéresse également de près à Jung ou à Reich. Les questionnements sur le morcellement du savoir qui agitent, notamment, les astrophysiciens, les interrogations induites en médecine pour une appréhension plus globale des phénomènes sont précieusement recueillis (avec ou sans l’accord des savants concernés) et intégrés aux démonstrations du nouvel âge.L’esprit cosmique anime, bien sûr, les astres autant que les hommes ou la matière. On comprend ainsi l’attention toute particulière que porte le nouvel âge à l’astrologie. Des emprunts sont également faits aux religions de l’Inde: l’esprit se réincarne successivement dans des corps différents. Contrairement aux Indiens qui vivent l’angoisse de la prochaine réincarnation, les tenants du nouvel âge, suivant en cela les ésotéristes occidentaux, considèrent que le cycle des réincarnations est ascendant: de réincarnation en réincarnation s’opère une purification. Le chamanisme et les expériences que connurent initiés et mystiques (chrétiens, bouddhistes ou soufis) tiennent une part importante dans bon nombre des groupes qui constituent la nébuleuse du nouvel âge. Le spiritisme (rebaptisé channelling ), avec tout son appareil de tarots et de pendules, occupe également une bonne place puisqu’il permet de communiquer avec l’esprit des choses invisibles. Fort de toutes ces croyances, le nouvel âge connaît un véritable engouement pour les expériences de «transformation de la conscience», de «passage à l’expérience intérieure», voire pour les voyages «extra-corporels».Prise de drogues, dans la droite lignée de Carlos Castaneda, en vue de transformer ses perceptions, hypnose, relaxologie, autosuggestion, et tout l’arsenal dérivé de la psychologie – «remémorisation» en séances de groupe de l’instant de sa naissance (rebirth ), programmation neuro-linguistique, etc. –, le catalogue des pratiques du nouvel âge est abondamment fourni. La science apporte parfois son aide, des réalités virtuelles aux lunettes de relaxation, qui favorisent la production d’ondes alpha dans le cerveau, en passant par les cassettes de musique subliminale et tous les gadgets électroniques censés capter l’énergie positive. Au rayon médecine, l’allopathie est largement décriée: il importe de soigner le corps dans sa globalité. Acupuncture ou tai-chi-chuan chinois, shiatsu japonais, médecine ayurvédique indienne, médecines traditionnelles des Africains ou des Amérindiens, toutes les techniques médicales douces, parallèles, exotiques, naturelles ou psycho-corporelles, sans oublier leurs déviances et croisements divers, prolifèrent.De nouveaux modes de vieLa resacralisation de la nature entraîne des soucis écologiques qui favorisent aussi bien l’observation individuelle d’une hygiène de vie rigoureuse que des expériences de communauté menant une vie «saine». Le centre de Findhorn, en Écosse, est l’un des hauts lieux du nouvel âge: on peut y vivre des expériences qui sont en accord avec les principes du mouvement. De plus, les pionniers qui l’ont investie, dès 1975, ont réussi à rendre fertile une terre désolée en l’aimant et en la respectant. Une attitude qui, au-delà de tout folklore, évoque celle des romantiques du siècle dernier: pour les Allemands, Goethe et notamment Novalis, la nature est cette zone d’ombre qu’il convient d’explorer pour y retrouver le mystère de l’homme. Autre écrivain allemand, héritier des romantiques et phare éphémère de la Beat Generation, Hermann Hesse, du Loup des steppes à Siddartha , développa ces thèmes en les mariant à l’orientalisme et à l’introspection. Si bien des filiations (rarement revendiquées) peuvent être esquissées, l’éducation, au sein du nouvel âge, n’est pas la simple transmission d’un savoir tronçonné en matières distinctes et non reliées entre elles. Il faut s’attacher à connaître, il importe d’«apprendre à apprendre» en retournant aux sources de l’expérience.De ce rapide survol des principes de base du nouvel âge découlent un nombre impressionnant de pratiques. L’éclectisme de ce mouvement y fait cohabiter charlatans et convaincus, marchands du temple et individus en quête de sagesse. Certains côtés spectaculaires n’ont pas échappé à la publicité, qui s’est empressée d’accorder le label New Age à quelques produits. Témoin la publicité pour les Gauloises blondes présentant «les fils de la terre» avançant, dans un décor de désert, habillés de blanc, grimés comme des Indiens et des lances à la main. Lorsque Yoplait lance un nouveau yoghourt Ofilus, c’est avec une affiche présentant une femme en posture de yoga, mains jointes et yeux fermés, avec un slogan: «la source du bien». Carrefour «positive», tandis que les eaux minérales vantent leur pureté à grand renfort de lents mouvements de gymnastique chinoise. Le nouvel âge est bel et bien devenu une mode. Du sommier à placer dans le sens des ondes positives jusqu’aux différents cultes du corps et de la nature, il a envahi notre vie quotidienne et, bien sûr, possède aussi ses stars et ses hérauts: en France, Paco Rabanne évoque dans Trajectoires , son autobiographie, sa connaissance des sciences occultes et les multiples réincarnations qui l’ont conduit de la cour d’Akhenaton aux salons de couture parisiens. Aux États-Unis, l’actrice Shirley MacLaine raconte, dans L’Amour foudre , ses expériences de décorporation, de visualisation et sa connaissance des énergies.Plus pratiques, certains sportifs de haut niveau, comme Surya Bonaly, la patineuse française malchanceuse aux Jeux d’Albertville, ne dédaignent pas les apports de la méditation, des «bonnes vibrations» et du ying et du yang avant une compétition. Tout aussi pratiques, et un peu moins désintéressées, de grandes entreprises ont compris l’apport de motivation que pouvait apporter dans le monde du travail certaines pratiques du nouvel âge. C’est ainsi que, après les stages où l’on apprend à dominer son corps et à marcher sur des braises, des cadres se retrouvent pour pratiquer le rebirth , mimer des psychodrames ou découvrir la bioénergie.Cette atomisation du nouvel âge, jointe à l’absence de contrôle sur la valeur des groupes qui le revendiquent, conduit aujourd’hui de nombreuses personnes à être new age , tout comme monsieur Jourdain faisait de la prose: sans le savoir.Clients des boutiques d’alimentation «bio», amoureux du yoga, militants écologistes, férus du paranormal, fervents des doctrines philosophiques orientales ou des médecines parallèles: tous ces passionnés intègrent – sciemment ou non – une part du nouvel âge dans leurs modes de vie. Snobisme aidant, sur deux adeptes de la même pratique, le V.T.T. (vélo tout terrain) par exemple, l’un pourra être nouvel âge, l’autre pas: la différence tiendra dans un discours spiritualisant le corps, l’écologie et l’énergie par le biais de cette pratique sportive.Avec tous ses emprunts, syncrétismes et amalgames, le nouvel âge catalyse sans nul doute une défiance ou un mécontentement diffus à l’égard de nos sociétés vieillissantes. Aux yeux de beaucoup, les Églises traditionnelles ne constituent plus une réponse face aux quêtes spirituelles (en 1990, seulement 14 p. 100 des Français pratiquent régulièrement l’une des quatre religions — catholique, protestante, musulmane ou juive —, révèle L’État de la France 1992 ). Les partis politiques ou les centrales syndicales connaissent une désaffection similaire.Qu’elles soient folkloriques ou salvatrices, les pratiques du nouvel âge ont été récupérées, «marchandisées» et intégrées aux modes de vie occidentaux. Ainsi, il est significatif que plus d’un million de livres consacrés au sujet soient vendus en France chaque année. J’ai lu propose sa collection New Age, Albin Michel a lancé Spiritualités vivantes, Jean-Claude Lattès son rayon Le Bonheur d’être, sans compter la nuée de petits éditeurs spécialisés. Pour les individus, seuls les plus radicaux mènent une vie marginale au sein de communautés. Il n’y aurait pas de quoi s’en inquiéter si des groupes plus ambigus n’empruntaient à leur tour le masque du nouvel âge.Gare aux gourousL’une des caractéristiques du phénomène sectaire réside dans sa mouvance: une association peut devenir une secte, à l’occasion de l’arrivée d’un animateur gourou, puis redevenir inoffensive, après avoir été démantelée — à la suite d’un contrôle fiscal, par exemple. Nous laisserons de côté la dimension proprement religieuse du mot «secte» pour ne considérer que les associations qui portent gravement atteinte aux droits de l’homme. Pour être plus précis, il conviendrait de parler (comme le faisait le député Alain Vivien dans son rapport sur les sectes, remis au Premier ministre Pierre Mauroy en 1984) de «secte sectaire». La grille d’analyse utilisée pour définir les sectes a été élaborée par le père Jacques Trouslard et l’A.D.F.I. (Association de défense de la famille et de l’individu). Elle se fonde sur la nocivité des sectes à l’égard des adeptes, sans porter aucun jugement sur le contenu idéologique des doctrines.Une secte opère une triple escroquerie. Intellectuelle, en présentant des faits sciemment tronqués ou mis en scène; psychologique, en jouant sur les faiblesses de l’individu pour le recruter; enfin, financière, en profitant des ressources de ce dernier pour vivre. Cette triple escroquerie, pour s’accomplir, exige évidemment la manipulation mentale de l’adepte. Dans un premier temps, la secte offre la chaleur d’un groupe où toutes les angoisses sont prises en charge. Le charisme du gourou entraîne l’adhésion à une doctrine qui amène une réponse à toutes les questions. Insensiblement, ce système devient une véritable drogue mentale qui assure la dépendance de la nouvelle recrue. Il ne reste plus à la secte qu’à la «façonner» à l’image de l’adepte modèle, un zélateur du groupe qui ramène argent et nouveaux disciples. L’absence de contrôle sur le label «nouvel âge», la prolifération des groupes qui s’en réclament et le succès populaire obtenu par ce mouvement ont trop souvent favorisé de semblables manipulations. Les thèmes de l’écologie, de l’occultisme, du retour aux traditions anciennes ou méconnues bénéficient aujourd’hui d’un succès certain. En outre, l’optimisme et le messianisme qui caractérisent le nouvel âge offrent une alternative à tous ceux que cette fin de siècle angoisse. Tous ces thèmes constituent déjà le terreau habituel des sectes qui n’hésitent donc pas à se servir du nouvel âge comme d’un appât.Ainsi, «Tout est énergie. Dieu est énergie», l’un des slogans favoris du nouvel âge, a été copieusement repris par Yvonne Trubert, «gourou» de la secte Ivi (Invitation à la vie), qui déclare, lors de l’une de ses conférences en Nouvelle-Zélande, le 21 février 1989: «Le Christ a révélé à ses apôtres que Dieu est Énergie. La prière est énergie, une vibration dont les chercheurs au C.N.R.S. ont déterminé physiquement l’efficacité.» À l’instar du nouvel âge, Ivi milite également pour l’écologie et les médecines douces, tout en apportant à ces domaines ses apports doctrinaux qui représentent un réel danger en terme de santé. Elle affirme ainsi qu’il n’existe aucune maladie inguérissable et préfère à la chimiothérapie le «déblocage des chakras» et la prière.Les masques «psy» inspirés du nouvel âge recouvrent également le visage de nombreux groupes sectaires. Bulles (Bulletins de liaison pour l’étude des sectes ) recense, entre autres: l’institut de recherches psychanalytiques de Maud Pison, l’École internationale de psychanalyse objectialiste d’André Biry, la faculté de parapsychologie de Paris de Marguerite Preux, etc. Autant de groupes où se côtoient astrologie, voyance et grossiers scientismes issus des sciences humaines. Véritable collectionneur de masques new age , le château du Magnet, au cœur du Berry, abrite une école de chevalerie, un musée de la «mère universelle», des cours de théâtre ésotérique, de calligraphie et de peinture sacrées, de céramique, de tai-chi-chuan, d’arts martiaux, etc., et propose des stages écologiques où retrouver les valeurs anciennes et enfuies, sous la férule d’un «guide extérieur momentané», en l’occurrence Yves Monin, dit Emmanuel. Lors d’un procès opposant le château du Magnet à l’A.D.F.I. et à d’anciens adeptes d’Emmanuel, il s’est avéré que ce retour au Moyen Âge passait par la transformation des individus en serfs entièrement dévoués à la cause du «preux gourou...».En France, les groupes sectaires sont une centaine, suivant les estimations les plus basses.Une bonne moitié n’hésite pas à emprunter les thèmes porteurs du nouvel âge. David Spangler, responsable durant trois ans de la communauté phare du nouvel âge, à Findhorn, en Écosse, a dénoncé avec vigueur, dans son livre Emergence , les faux gourous «fascinés par le pouvoir et un style de vie fastueuse». C’est que le nouvel âge se révèle une appellation non contrôlée, baptisant tardivement une mouvance qui existait depuis longtemps sous des formes remarquablement variées. Les espoirs nouveaux qu’il propose à des angoisses ancestrales reposent sur quelques lignes directrices qui autorisent bien des interprétations.D’auberge espagnole d’une spiritualité où se tinrent d’estimables banquets, le nouvel âge risque, à chaque nouvelle initiative, de devenir un «fast-food» du religieux dont les cuisines grouillent de gourous fascinés par le cours du dollar...
Encyclopédie Universelle. 2012.